07/09/2025
La conscience est une évidence pour l’humain, mais dès qu’il s’agit des animaux, la question devient plus complexe.
Beaucoup de propriétaires affirment que leur chien « comprend tout » ou que leur chat « fait exprès » de se venger. Mais qu’en dit la science ?
Cet article propose un voyage à travers les découvertes récentes sur la conscience, la théorie de l’esprit et les émotions partagées, en particulier chez le chien et le chat, pour mieux comprendre nos compagnons… et mieux nous comprendre nous-mêmes.
Nos animaux ne sont pas des « petites personnes » à quatre pattes, mais ils possèdent bel et bien une conscience et des émotions. Ils ressentent, mémorisent et même synchronisent parfois leurs comportements et leurs émotions avec les nôtres.
Voici quelques exemples pour mieux appréhender ces concepts :
- Votre chien peut refuser d’obéir s’il voit qu’un autre chien reçoit une récompense et pas lui — une forme de sensibilité à l’injustice.
- Votre chat tourne la tête lorsqu’il entend son prénom, même dans une pièce pleine de bruit — preuve qu’il discrimine notre voix parmi toutes les autres.
- Un simple regard entre vous et votre chien peut libérer de l’ocytocine, l’hormone du lien, dans vos deux cerveaux — renforçant ainsi l’attachement réciproque.
Cet article explique en quoi chiens et chats perçoivent et vivent le monde différemment de nous, pourquoi il est essentiel d’éviter la projection anthropomorphique, et comment mieux respecter leur univers sensoriel et émotionnel pour renforcer une relation équilibrée et authentique.
Qu’est-ce que la conscience animale ?
En sciences cognitives, la conscience correspond à la capacité de percevoir, d’intégrer et d’utiliser des informations pour guider son comportement. Elle ne signifie pas « penser comme un humain », mais plutôt avoir une expérience vécue : ressentir la peur, la douleur, le plaisir ou la curiosité. Exemple : un chien qui hésite avant de plonger dans une flaque a perçu la texture visuelle et olfactive de l’eau, a évalué la situation, puis choisit d’agir.
Les chercheurs parlent d’un continuum de conscience : elle varie selon les espèces et les modalités sensorielles dominantes (vision chez les primates, odorat chez le chien, vibrisses chez le chat) (Birch et al., 2020). Exemple : là où nous reconnaissons un visage, un chien reconnaît un congénère à son odeur unique.
Et la théorie de l’esprit ?
La théorie de l’esprit (ToM) est la capacité à comprendre que l’autre possède des pensées, intentions et émotions différentes des nôtres.
* Chez l’humain, un enfant qui cache un jouet « sait » que son camarade ne peut pas le trouver s’il n’a pas vu la cachette.
* Chez le chien, des études montrent qu’il sait si on le regarde ou non : il vole plus facilement de la nourriture quand nos yeux sont détournés (Kaminski et al., 2009). Exemple : un chien qui attend patiemment lorsque vous l’observez, mais qui subtilise un biscuit dès que vous tournez le dos.
Ces indices témoignent d’une lecture de la perspective de l’autre, mais pas d’une théorie de l’esprit complète comme chez l’humain.
Le piège de la projection humaine.
Nous avons tendance à prêter aux animaux des intentions qui ne sont pas les leurs : c’est l’anthropomorphisme.
Exemple : un chien qui détruit un coussin en votre absence n’agit pas par vengeance : il peut souffre d’anxiété de séparation ou d’un besoin de déchiqueter par ennui.
Autre Exemple : un chat qui urine sur le lit n’essaie pas de « punir » son maître : il peut exprimer un stress environnemental ou un trouble médical.
Cette projection peut mener à des erreurs d’interprétation et à des sanctions injustes voire à de la maltraitance involontaire.
Les chiens : un « soi » olfactif et social.
Auto-reconnaissance olfactive :
Les chiens reconnaissent leur propre odeur modifiée (Horowitz, 2017). Exemple : comme si vous passiez devant un miroir avec un détail changé (couleur de cheveux orange), votre chien « s’arrête » devant une odeur modifiée de lui-même.
Métacognition & mémoire épisodique :
Les chiens savent quand ils ne savent pas et vont chercher l’information (Belger et al., 2018). Exemple : une friandise tombe derrière un rideau : le chien va vérifier plutôt que de choisir au hasard. Ils se rappellent aussi d’actions humaines passées sans y avoir été préparés (Fugazza, 2016).
Discrimination des intentions humaines :
Les chiens distinguent nos gestes intentionnels de ceux accidentels. Ils réagissent différemment si une friandise tombe « par erreur » que si elle est retirée volontairement. Exemple : comme un enfant qui comprend qu’on n’a pas « fait exprès » de renverser un verre, le chien ajuste sa réaction.
Synchronisation interspécifique :
Les chiens synchronisent leurs mouvements et comportements avec les nôtres (Duranton et al., 2017). Exemple : votre chien se lève du canapé en même temps que vous, comme sur la même fréquence.
La « jalousie » canine :
Quand leur humain caresse un autre chien, certains s’interposent, poussent, ou tentent d’attirer l’attention (Harris & Prouvost, 2014). Exemple : un chien bondit entre vous et un autre chien câliné, pour « reprendre sa place ».
Ils sont aussi sensibles à l’injustice : deux chiens exécutent la même tâche, mais un seul reçoit une friandise ; l’autre cesse rapidement (Range et al., 2009).
Des études d’imagerie cérébrale confirment une réaction émotionnelle plus forte quand un maître nourrit un faux chien que lorsqu’il dépose la nourriture dans un seau (Cook et al., 2018).
⚠️ Ces comportements témoignent d’une rivalité sociale et d’une réactivité émotionnelle liées au lien, mais la jalousie au sens humain reste discutée.
Les chats : un « soi » relationnel
Capacités sensorielles et cognitives :
Les chats utilisent leurs vibrisses comme radar tactile. Ils reconnaissent leur nom, celui de leurs congénères, et la voix de leur propriétaire (Saito et al., 2013, 2019 ; Takagi et al., 2021). Exemple : au milieu du bruit, un chat tourne la tête uniquement à l’appel de son prénom.
Perception des intentions humaines :
Pas de preuve solide que les chats distinguent gestes volontaires et accidentels, mais ils réagissent fortement au ton de notre voix et à nos émotions. Exemple : un chat s’approche si la voix est douce, mais s’écarte si elle est sèche et grave.
Synchronisation comportementale :
Les chats peuvent synchroniser leur comportement avec le nôtre, notamment via le clignement lent des yeux (Koyasu et al., 2021). Exemple : vous clignez doucement des yeux ; votre chat vous répond par le même geste, un « sourire félin ».
Émotions partagées entre humains, chiens et chats
Les recherches montrent que nos compagnons partagent nos émotions de façon subtile mais réelle.
• Contagion émotionnelle : le stress humain peut se transmettre au chien, mesurable par la variabilité cardiaque (Katayama, 2019). Exemple : un maître stressé avant une réunion rend son chien plus agité, même sans interaction directe.
• Communication par le regard : un échange de regards entre chien et humain déclenche une libération d’ocytocine, hormone du lien, chez les deux (Kikusui, 2025). Exemple : un chien et son maître se regardent quelques secondes ; tous deux ressentent une vague de calme et d’attachement.
• Réponses empathiques : certains chiens réconfortent des étrangers en détresse (Custance & Mayer, 2012). Exemple : un chien s’approche d’une personne inconnue qui pleure, et pose sa tête sur ses genoux.
• Chats et émotions : les chats détectent les émotions humaines par l’odeur, notamment la peur (Noldus, 2025). Exemple : un chat se raidit et s’écarte quand son propriétaire anxieux passe près de lui.
Comprendre, respecter et réguler son propre état d’être
Acquérir les bases du comportement animal est essentiel pour éviter les surinterprétations. Exemple : savoir que les destructions d’un chien relèvent souvent du stress de séparation, et non d’une « vengeance ».
Mais il ne suffit pas d’analyser l’animal ! Nous devons aussi apprendre à réguler notre propre état d’être. Les animaux ressentent nos émotions et réagissent à notre cohérence interne. Exemple : un chien tremblant en salle d’attente vétérinaire peut s’apaiser si son propriétaire respire lentement et se détend.
Cela nourrit un lien d’attachement profond, vital pour nous, tout en respectant nos compagnons dans un esprit de bien-vivre ensemble.
En conclusion, les chiens et les chats ne sont pas des humains miniatures. Leur conscience et leurs émotions s’expriment différemment, à travers leur univers sensoriel et social. Reconnaître cette altérité, c’est mieux les comprendre, mieux les respecter, et renforcer notre lien avec eux.
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Références clés
• Birch J. et al. (2020). Dimensions of animal consciousness. Trends in Cognitive Sciences.
• Cambridge Declaration on Consciousness (2012).
• Horowitz A. (2017). Smelling themselves: Dogs investigate their own odours. Behavioural Processes.
• Belger J. et al. (2018). Dogs demonstrate functional similarities to metacognition. Animal Cognition.
• Fugazza C. et al. (2016). Recall of others’ actions after incidental encoding. Current Biology.
• Kaminski J. et al. (2009). Domestic dogs discriminate human attention in an object-choice task. Animal Cognition.
• Harris C. & Prouvost C. (2014). Jealousy in dogs. PLoS ONE.
• Range F. et al. (2009). The absence of reward induces inequity aversion in dogs. PNAS.
• Cook P. et al. (2018). Do dogs experience jealousy? Evidence from brain imaging. Animal Sentience.
• Saito A. et al. (2013, 2019). Cats recognize their owner’s voice ; Cats recognize their own names. Animal Cognition / Scientific Reports.
• Takagi S. et al. (2021). Socio-spatial cognition in cats. PLoS One.
• Koyasu H. et al. (2021). Mutual synchronization of eyeblinks between dogs/cats and humans. Frontiers in Psychology.
• Katayama M. (2019). Emotional contagion from humans to dogs. Frontiers in Psychology.
• Kikusui T. et al. (2025). Love–loop via eye contact between dogs and humans. Science.
• Custance D., Mayer J. (2012). Empathic-like responding by domestic dogs. Animal Cognition.
• Noldus Blog (2025). Cats detect human fear through scent.